DÉCEMBRE 2008  
VOLUME 2 | NUMERO 4  
 
 

Mot du président

Un contexte d’une gravité sans précédent appelle des solutions inédites et adaptées pour éviter le pire

Par Carl Yank
Président du Conseil de l’AQCIE
et Directeur général, ERCO Mondial


Personnellement, j’aurais préféré ne jamais avoir à écrire le présent éditorial. La situation est grave, très grave. La vitesse avec laquelle les événements se produisent est étourdissante, du jamais vu dans les 30 années de ma carrière dans le secteur manufacturier. Vous connaissez les chiffres aussi bien que moi et vous les voyez défiler dans les bulletins de nouvelles tous les soirs. Par contre, je vais vous parler de ce que l’on voit moins dans les reportages, mais qui est tout aussi préoccupant, voire plus. Il s’agit de l’impact de cette crise financière sur les autres secteurs de l’économie, notamment sur le secteur manufacturier. Le premier à être touché de plein fouet, et non le moindre, c’est celui de l’automobile dont les hauts dirigeants ont même défilé devant le Congrès américain pour demander l’aide du gouvernement, sans quoi les pertes d’emplois massives et même la faillite les guettent. Les ministres, canadien et ontarien, responsables de l’industrie ont aussi emboîté le pas et interviendront dans ces pourparlers afin de s’assurer que le secteur canadien de l’automobile ne soit pas laissé pour compte.

D’aucuns peuvent penser que cette situation alarmante pour l’industrie de l’automobile est encore loin de nous et ne risque pas de se généraliser aux autres secteurs, mais je dois malheureusement les détromper. Ici aussi, nos usines sont menacées et les sièges sociaux s’empressent à faire les analyses de réduction de coûts requises pour décider des actions à prendre face à la crise financière. Certains correctifs ont débuté avec des réductions de taux de production pour contrer l’augmentation des inventaires et plusieurs projets au budget de 2009 sont actuellement en révision. Il est facile de comprendre que les coûts de l’énergie font grandement partie de ces analyses et des décisions qui suivront pour les industries où ils représentent un fort pourcentage des coûts d’exploitation.

De plus, il faut bien saisir comment la crise financière affecte les possibilités de financement pour les entreprises, comme le confirmait d’ailleurs la Banque du Canada récemment. D’abord, la Bourse atteint des creux records, les banques et autres institutions de crédit sont fortement ébranlées et peu enclines à prêter, et on apprenait que le capital de risque a lui aussi souffert de la crise, représentant au Québec des investissements de 41 % inférieurs à l’an dernier. Or des entreprises qui ne peuvent financer leurs projets sont des entreprises vulnérables et à la merci du moindre vent défavorable. Ce sont aussi des entreprises qui perdent leur compétitivité du fait qu’elles ne se modernisent pas et ne prennent pas d’expansion. Or, qui n’avance pas recule.

Pour mesurer l’ampleur de la crise, jetons un coup d’œil à quelques indicateurs que nous avons d’ailleurs présentés dans le mémoire soumis en début novembre 2008 à la Régie de l’énergie dans le dossier de la distribution et dont les audiences commencent sous peu. Ces indicateurs se sont d’ailleurs significativement détériorés depuis la rédaction de notre mémoire. Ainsi les bourses traversent une période de turbulence absolument exceptionnelle, par exemple, en une seule journée, le 15 octobre 2008, le Dow Jones a perdu 733 points, soit 7,9 % de sa valeur, son plus important recul depuis 1987. Actuellement, les indices boursiers nord-américains ont perdu plus de 40 % de leur valeur. Côté perte d’emplois, le taux de chômage aux États-Unis a augmenté de plus de 2 % en quelques mois et les mises en chantier sont à leur plus bas niveau depuis 50 ans.

La crise est planétaire, ainsi le Japon, deuxième économie mondiale, est officiellement en récession, la Chine, l’Inde et les pays de la région Asie-Pacifique connaissent une réduction de leur croissance, eux qui étaient de véritables moteurs de la croissance économique mondiale.

En ce qui concerne le prix des matières premières, il a chuté dramatiquement. Par exemple, le prix du pétrole WTI est passé d’un niveau record de 147 $ en juillet à moins de 50 $ en novembre, le prix du gaz naturel est passé d’un prix mensuel à Empress de 10,90 $/Gj en juillet à 6,70 $/Gj en novembre. À cela, il faut ajouter la baisse marquée du dollar canadien par rapport au dollar américain qui se transige actuellement sous les 0,80 $.

C’est Einstein qui disait qu’il n’y a que les fous qui pensent qu’on peut solutionner les mêmes problèmes en y appliquant les mêmes solutions même si elles n’ont pas fonctionné avant. À contexte particulièrement grave, il faut donc appliquer des solutions différentes, innovatrices, qui vont plus loin que celles qui ont déjà été mises de l’avant. D’autres pays prendront des actions pour protéger leur secteur manufacturier et le Québec doit faire de même.

Ce que la grande industrie demande aux pouvoirs publics est simple, prenez des décisions qui vont avoir un effet dynamisant pour l’économie et permettre aux entreprises de traverser la crise sans trop de dommages tant pour les employés, pour les sous-traitants que pour la pérennité des installations industrielles. Concrètement, cela veut dire qu’il y a urgence à appliquer des augmentations de tarifs différenciées pour réduire l’interfinancement des tarifs résidentiels qui s’élève à un milliard de dollars chaque année. En modulant les augmentations de tarifs en fonction de ce qu’il en coûte pour desservir chaque catégorie de consommateurs, le signal de prix envoyé aux consommateurs résidentiels serait plus juste, ce qui aurait aussi un effet positif en termes d’efficacité énergétique. De plus, pour permettre aux entreprises de demeurer compétitives, des programmes, leur assurant la flexibilité dont elles ont besoin et leur permettant de moduler leur consommation en fonction des impératifs de production et des marchés fluctuants, sont également requis.

Bref ce contexte exceptionnel commande des solutions nouvelles, inédites et adaptées. La Régie était prête à accorder des augmentations différenciées l’an dernier, le gouvernement est intervenu par décret pour l’en empêcher. Nous l’avions déploré à l’époque, nous croyons cependant que pour 2009, le contexte est suffisamment grave pour que tous les moyens pour soutenir le secteur industriel québécois soient mis en œuvre, il y va de la façon dont nous pourrons appréhender cette crise. Cela inclut une hausse minimale des tarifs d’électricité s’adressant aux grandes entreprises, créatrices de richesses, car toute hausse, si minime soit-elle, prend des proportions importantes quand on sait que l’électricité représente en moyenne 25 % des coûts d’exploitation de nos usines, pouvant aller jusqu’à 60 % dans certains cas. L’heure est grave, nous attendons des pouvoirs publics qu’ils appliquent des solutions à la mesure des défis qui s’offrent à nous.


Mot du directeur exécutif

Privatiser Hydro-Québec?
Une stratégie mal ficelée qui risque d’avoir des effets secondaires nocifs pour le Québec

Par Luc Boulanger
Directeur exécutif, AQCIE


Cette idée de privatiser Hydro-Québec en tout ou en partie, soit pour payer la dette ou encore pour générer des fonds supplémentaires à la disposition du gouvernement pour offrir de nouveaux programmes ou encore bonifier les programmes existants, revient à la surface dans l’actuelle campagne électorale. Il s’agit cependant d’une vieille idée qui refait d’autant plus aisément surface qu’elle peut sembler séduisante au premier abord, car potentiellement génératrice de sommes d’argent considérables dans les coffres publics. Mais ce n’est pas parce qu’elle peut avoir l’air tentante qu’il faut se laisser tenter!

Tout le monde reconnaît que la valeur qui serait obtenue d’une telle vente d’actifs est fonction du prix payé par les usagers québécois pour leur électricité, et les tenants de cette thèse n’hésitent pas à suggérer que ces tarifs soient relevés pour refléter la «vraie valeur du produit». Autrement dit, il faudrait payer davantage maintenant afin de pouvoir éventuellement encaisser… Le raisonnement tient-il la route? À l’AQCIE, nous croyons que non.

Quelle est donc la «vraie valeur» de notre électricité ?

Souvent, on compare l’électricité québécoise au pétrole albertain comme si ces deux marchés fonctionnaient de la même façon. On ignore ainsi que l’Alberta s’adresse à un marché mondial dont elle ne détient qu’une infime partie (3 %), que le pétrole s’achemine partout sur la planète et que son prix «mondial» est établi selon deux principaux indices, le WTI et le Brent. Ces caractéristiques ne s’appliquent pas aux marchés de l’électricité, qui sont par définition des marchés régionaux, avec plusieurs points de transactions qui ont chacun leurs limites et restrictions, et qu’Hydro-Québec est un gros joueur dans ce marché.

Dans ce contexte, il devient beaucoup plus difficile d’établir un prix qui reflèterait la vraie valeur du produit. Le marché de l’électricité est loin d’être aussi liquide que celui du pétrole et n’offre pas les mêmes outils permettant de transiger à long terme sur les marchés. Bref, comment alors ne pas tomber dans l’arbitraire en essayant de «fixer» un prix qui reflèterait la vraie valeur du produit? Car, si le prix est trop bas, on laisse de l'argent sous la table et si le prix est trop haut, c'est carrément injuste pour les Québécois, qui font en définitive les frais de cette privatisation à travers leurs tarifs.

De plus, pour établir la «vraie» valeur, il faut tenir compte de trois éléments qui sont ignorés par les tenants de la privatisation et sur lesquels nous voulons attirer l’attention.

Ils ignorent les concepts de l’élasticité de la demande

En effet, les tenants de cette thèse oublient que plus de 40 % de l’électricité québécoise est consommée par la grande industrie et que cette demande est élastique. Relever les prix de l’électricité équivaut à délocaliser cette production ailleurs dans le monde où les tarifs sont plus attrayants. Cette délocalisation est d’autant plus facile que ces grandes entreprises font toutes partie de conglomérats internationaux présents partout sur la planète. Si la demande des industriels chute en raison de délocalisations, d’énormes quantités d’électricité seront libérées et devront nécessairement être écoulées sur les marchés d’exportation, à défaut de laisser l’eau s’accumuler derrière les barrages.

Ils ignorent la notion de l’offre et de la demande

L’objectif qui doit être visé, lorsqu’on exporte notre électricité sur les marchés limitrophes, est d’en optimiser le prix. Hydro-Québec détient déjà une part importante de ces marchés durant les heures où les prix sont attrayants et augmenter significativement ses exportations veut nécessairement dire exporter durant des périodes moins payantes ou encore de les augmenter durant les heures payantes, ce qui aura pour effet de faire diminuer le prix. Il est important de se rappeler que la quantité d’électricité consommée par les grands industriels est trois fois plus élevée que celle exportée par Hydro-Québec. Ainsi, augmenter les exportations pour compenser les délocalisations signifie ni plus ni moins noyer le marché nord-américain, ce qui ferait chuter les prix.

Ils ignorent les retombées économiques considérables des activités de la grande industrie au Québec

Les grandes entreprises dépensent en moyenne au Québec 14 cents par kWh consommé en masse salariale, matières premières ainsi qu’en biens et services liés à l’exploitation courante. Cette estimation n’inclut pas les impôts corporatifs, ni les effets indirects résultant de l’exploitation des usines. Elle n’inclut pas non plus les dépenses réalisées au Québec dans le cadre des investissements pour le maintien des installations qui se chiffrent à plus de 2 milliards $ par an.

À moins de verser dans la pensée magique, on ne peut raisonnablement croire que nous pourrions exporter de telles quantités d’électricité à fort prix. Ce qui nous indique que les retombées de 14 ¢/kWh demeurent une alternative beaucoup plus attrayante pour le Québec que de composer avec les effets secondaires de la privatisation d’Hydro-Québec.

Et, où est l’argent neuf ?

En relevant les tarifs d’électricité, contrairement à la situation de l’Alberta avec ses exportations de pétrole, ce sont les Québécois eux-mêmes qui paieront leur propre électricité, plus cher. Il n’y a donc pas d’argent neuf. Alors, qui est le mieux placé pour faire rouler l’économie: l’individu ou le gouvernement ?

D’ailleurs, ce sont les Québécois eux-mêmes qui, à travers leurs tarifs d’électricité, ont financé l’édification d’Hydro-Québec, ce qui a été reconnu par le gouvernement lorsqu’il a « légiféré » l’établissement du tarif patrimonial au Québec, reconnaissant là cette contribution. Les tenants de la privatisation ignorent donc cette rente dont bénéficient les Québécois, et proposent à toute fin pratique de les faire payer une deuxième fois pour privatiser Hydro-Québec.

Privée ou publique, Hydro-Québec demeure un monopole

Arguer qu’une privatisation permettrait aux Québécois d’être plus impliqués dans la gestion d’Hydro-Québec ne change rien à la donne, puisque l’organisme continuerait d’être réglementé par la Régie de l’énergie, où tous et chacun peuvent y faire des représentations comme c’est le cas actuellement.

Finalement, nous soumettons que la thèse de privatiser Hydro-Québec est loin d’être au point et ses tenants auraient avantage à réfléchir comment en atténuer les effets secondaires pour rendre cette option viable et profitable pour le Québec, d’autant plus que le contexte du marché boursier actuel est loin d’être favorable à une telle entreprise.


Quoi de neuf à la Régie?
Par Luc Boulanger

Les tarifs en hausse de 2,2 % au 1er avril 2009

La Régie de l’énergie tient actuellement des audiences publiques dans les dossiers du transport et de la distribution qui, si elle accepte les propositions des deux entités réglementées d’Hydro-Québec, pourraient se traduire par une augmentation des tarifs de distribution de 2,2 % au 1er avril 2009.

L’enjeu principal dans ces deux dossiers concerne la radiation d’actifs devenus obsolètes. Il y en a pour 135 M$ chez le transporteur et 94 M$ chez le distributeur. Compte tenu que l’augmentation des revenus requis pour l’ensemble des deux entités est de 285 M$, 80 % des augmentations proposées ont trait aux actifs dont il faut disposer.

D’entrée de jeu, il faut souligner que cette question préoccupait la Régie puisqu’elle avait demandé que des propositions lui soient soumises à ce sujet. La Régie se disait préoccupée qu’un rendement soit payé par les usagers sur des actifs inutilisables.

La nature a horreur du vide

Nous connaissons tous cet adage. Dès qu’un espace devient disponible, il faut le combler à tout prix. Ici, on parle de l’espace qui a trait aux augmentations « acceptables » que les entités réglementées peuvent faire passer chaque année sans qu’il y ait un tollé généralisé, c’est-à-dire des augmentations inférieures à l’inflation.

Les deux entités réglementées soutiennent qu’il leur faut radier d’un seul coup et maintenant tous ces actifs afin de se conformer aux nouvelles normes internationales d’information financière (IFRS), qui ne prendront pourtant effet qu’à compter du 1er janvier 2011! Mais il y a pire… Suite au témoignage en audience du transporteur qui nous indiquait que ces normes justement ne sont pas encore arrêtées et que nous faisons face à des « hypothèses » quant à leur contenu, on peut se demander si elles prendront vraiment effet un jour et si oui, quelles seront-elles? Bref, beaucoup de précipitation de la part des deux entités d’Hydro-Québec à radier des actifs en vertu de normes qui ne sont pas encore définies.

L’interconnexion avec l’Ontario

Cet actif de transport de 1250 MW sera construit au coût de 375 M$ suite à une demande de Hydro-Québec Production pour desservir le marché de l’Ontario. Les investissements sont garantis par le producteur par des réservations fermes de 50 ans sur le réseau de transport. Mais, sous prétexte que ces actifs pourraient «probablement» servir au distributeur pour assurer sa sécurité d’approvisionnement, comme toutes les autres interconnexions, 94 % de ces coûts sont imputés à la charge locale, c’est-à-dire aux clients du distributeur.

Il va sans dire que tous les groupes de consommateurs, y compris les industriels, s’opposent à cette allocation de coûts, puisque cette interconnexion est clairement dédiée aux marchés d’exportation, ce que le distributeur a confirmé en signifiant qu’il n’entendait pas l’utiliser.

Des hausses tarifaires différenciées

Si on appliquait la décision de la Régie d’imposer des hausses tarifaires différenciées, qui reflètent mieux les coûts pour desservir les différentes catégories de consommateurs, et ce sans modifier les demandes du distributeur, les hausses requises par catégorie de tarifs seraient les suivantes:

On se rappellera que l’an dernier, le gouvernement est intervenu par décret pour empêcher la Régie d’aller dans cette voie, et que l’année précédente, la Régie avait justifié sa décision de surseoir à des hausses différenciées eu égard à l’importance du montant résiduel des coûts de transport rétroactifs, qui n’avaient pas encore été intégrés dans les tarifs. Cette année, dans un contexte où tous les gouvernements de la planète mettent en œuvre des mesures sans précédent, tant par leur ampleur que leur nature, pour contrer les effets de l’actuelle récession, nous osons espérer que la Régie tiendra elle aussi compte de ce contexte dans sa décision.

Des réductions significatives du revenu requis du distributeur

Plusieurs recommandations sont mises de l’avant pour limiter l’appétit du distributeur compte tenu du contexte actuel. Nous examinons notamment l’amortissement des actifs à radier, les prévisions des prix du pétrole, l’amortissement du compte de nivellement de la température, la provision pour événements majeurs ainsi que la capitalisation des régimes de retraite.

L’ensemble des mesures que nous proposons permettraient de réduire les revenus requis du distributeur de 83 %. C’est donc dire que l’augmentation uniforme de 2,2 % recherchée par le distributeur diminuerait à 0,4 %, ce qui nous semble plus raisonnable et en ligne avec la situation économique actuelle.


 
     
  L’ÉNERGIQUE est le bulletin d’information de l’AQCIE. Il est publié quatre fois par année à l’intention des membres et partenaires de l’Association. Toute reproduction est autorisée à condition d’en mentionner la source et de nous en informer au dg@aqcie.org